Le changement en Europe avant la tempête
Fin juillet , la scène politique européenne était en pleine tourmente à cause de la question palestinienne. La famine aiguë – notamment parmi les enfants de Gaza – ainsi que les annonces israéliennes concernant l'expansion des colonies ont contraint la politique européenne, réputée pour son inflexibilité sur ce sujet, à prendre des mesures politiques hautement symboliques, caractérisées par une prise de distance vis-à-vis de Washington et une pression accrue sur Benjamin Netanyahu.
Le 23 juillet, le président français Emmanuel Macron a informé le chancelier allemand Friedrich Merz de son intention de reconnaître un État palestinien en septembre. Le lendemain même, il l'a annoncé publiquement, qualifiant cette annonce d'acte d'« engagement en faveur d'une paix juste et durable ». Dans le même temps, sur la plateforme X, il a souligné que la paix exigeait « un cessez-le-feu immédiat, la libération de tous les otages et une aide humanitaire massive ». Sur le plan politique, la déclaration de Macron a posé les bases de la reconnaissance de la Palestine dans le contexte d'une paix durable, sous réserve de la démilitarisation du Hamas et de la pleine reconnaissance d'Israël, facteurs contribuant à « la sécurité de tous au Moyen-Orient ».
Une semaine plus tard, le 29 juillet, le Premier ministre maltais , Robert Abela, annonçait que le pays procéderait à la reconnaissance officielle d'un État palestinien lors de l'Assemblée générale des Nations Unies en septembre. Cette décision, qui intervient après des semaines de pressions politiques exercées tant par le parti au pouvoir que par l'opposition, s'appuie sur la position historiquement pro-palestinienne du pays et son soutien indéfectible à une solution à deux États. Malte rejoint ainsi l'Irlande, la Norvège et l'Espagne, qui avaient déjà pris des mesures similaires en mai.
La décision de Macron , une première pour un pays du G7, a été interprétée comme ayant un double objectif : d’une part, faire pression sur les alliés européens, notamment le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie, pour qu’ils reviennent à la solution à deux États ; d’autre part, adresser un message clair à Tel-Aviv, lui signifiant qu’elle paie le prix politique du génocide à Gaza. Les réactions des États-Unis et d’Israël ont été similaires, le secrétaire d’État américain Marco Rubio qualifiant cette initiative de « décision irréfléchie ». Netanyahu a de nouveau évoqué la menace existentielle qui pèse sur Israël – la France allant dans ce sens – parlant d’une « base de lancement pour anéantir Israël ».
La décision du président français semble avoir partiellement atteint son objectif, en servant de catalyseur aux développements à Londres . Le Premier ministre Keir Starmer a annoncé le 30 juillet que la Grande-Bretagne reconnaîtrait un État palestinien en septembre. Cette reconnaissance serait toutefois conditionnée à l'absence d'accord d'Israël sur un cessez-le-feu, à son engagement dans un processus de paix menant à une solution à deux États et à son renoncement à toute annexion de territoires de Cisjordanie, conditions que le gouvernement britannique sait catégoriquement rejetées par Netanyahu. La position d'Israël est compréhensible au vu de ses actions passées, mais plus encore après l'adoption, quelques jours auparavant, par la Knesset, d'une motion non contraignante (71 voix pour, 13 contre) proposant l'annexion de la Cisjordanie occupée, y compris la vallée du Jourdain et les colonies. Malgré sa nature symbolique, cette initiative de la coalition de Netanyahu a été perçue par l'Autorité palestinienne comme une « attaque directe contre les droits du peuple palestinien » et comme une atteinte à toute perspective de solution à deux États. Le ministère palestinien des Affaires étrangères a dénoncé ces actions unilatérales comme une violation flagrante du droit international et un renforcement d’un « régime d’apartheid » en Cisjordanie.
La décision du gouvernement britannique de présenter la reconnaissance comme un choix pour Israël donne assurément l'impression d' une volonté politique plutôt que d'un simple geste de solidarité. Au niveau national, cependant, la pression était devenue insoutenable : ministres et députés, même au sein du gouvernement, réclamaient une reconnaissance immédiate, avertissant qu'« un droit inaliénable ne saurait être soumis à des conditions ». Ce climat est alimenté par l'image d'une catastrophe humanitaire à Gaza, l'ONU évoquant une « famine grandissante » et les experts en sécurité alimentaire alertant sur le fait que « le pire scénario de famine est déjà en train de se réaliser ». Cette famine à Gaza n'est pas un phénomène spontané, mais le fruit de choix politiques délibérés. Depuis le début de la guerre, Israël impose un blocus total à Gaza, coupant l'eau, la nourriture, le carburant, l'électricité et les télécommunications, et ciblant systématiquement les journalistes , allant bien au-delà de toute limite pour tuer ceux qui rendaient compte de la situation à l'intérieur des murs.
Aujourd'hui encore, la privation délibérée de nourriture affecte les journalistes palestiniens , qui travaillent sous blocus, contraints aux déplacements forcés et privés de toute communication. Des organisations comme le CPJ avertissent que, sans intervention immédiate, « il ne restera plus personne à Gaza pour témoigner ». Dans le même esprit tragique, le 10 août 2025, Israël a lancé une attaque ciblée contre une tente abritant des journalistes devant l'hôpital al-Shifa à Gaza. Cette attaque a coûté la vie à quatre employés d'Al Jazeera et à deux pigistes. Il s'agit d'une violation flagrante du droit international humanitaire qui, à l'article 79 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève, reconnaît explicitement que les journalistes couvrant les conflits armés sont des civils et doivent être protégés contre toute attaque. Cette attaque était la première attaque menée par Israël contre des journalistes à être reconnue comme telle par Israël, même si, de fait, Israël les considérait comme des terroristes.
En effet, malgré les accusations répétées d'Israël selon lesquelles Anas al-Sharif dirigeait un « groupe terroriste du Hamas », aucune preuve indépendante et fiable n'a été présentée. Des organisations telles que RSF, le CPJ et Amnesty International qualifient ces accusations de sans fondement et son exécution de crime de guerre. Ces éléments s'inscrivent dans un schéma récurrent : les autorités israéliennes ciblent des journalistes sur la base d'accusations non fondées avant de les tuer, comme ce fut le cas pour Shireen Abu Akleh en 2022, un acte resté impuni.
#Gaza : Nous condamnons le meurtre par l'armée israélienne de six journalistes palestiniens, tués en ciblant leur tente, en violation flagrante du droit international humanitaire. #Israël doit respecter et protéger tous les civils, y compris les journalistes. Au moins 242 journalistes palestiniens ont été tués à Gaza… pic.twitter.com/Y6nTHcHQ2B
— Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (@UNHumanRights) 11 août 2025
Depuis le début du conflit le 7 octobre 2023, près de 270 journalistes et professionnels des médias ont été tués, en majorité palestiniens. Or, l'accès à Gaza reste interdit aux médias internationaux, privant ainsi le public mondial d'éléments de preuve essentiels concernant d'éventuelles violations du droit de la guerre. L'absence de sanctions internationales significatives et proportionnées compromet non seulement la protection des journalistes, mais crée également un dangereux précédent qui menace la possibilité même de documenter les crimes de guerre.
De plus, les déclarations antérieures de hauts ministres israéliens, souvent répétées avec une rhétorique déshumanisante et insistant sur la nécessité d'empêcher l'entrée du « pas même un gramme d'aide humanitaire », témoignent du caractère délibéré de cette politique. Des organisations humanitaires à l'ONU, tous ont documenté l'utilisation systématique de la faim comme arme de guerre, le procureur de la Cour pénale internationale ayant même porté des accusations de crimes de guerre. Comme le souligne Alex de Waal , spécialiste des famines , la privation de nourriture « ne peut être provoquée par accident. Elle doit être délibérée et durable ».

