Le droit de manifester est un pilier de la démocratie européenne. La possibilité de descendre dans la rue et de formuler des revendications est l'essence même de la démocratie – et non un privilège superflu. Au contraire, c'est un moyen intemporel de faire pression sur les institutions qui restent sourdes aux demandes. Pourtant, partout en Europe , ce droit semble se restreindre, la répression des rassemblements pacifiques devenant une pratique courante en matière de sécurité intérieure, formalisée par des interdictions strictes, voire des modifications législatives criminalisant la protestation elle-même. L'Italie est actuellement à l'avant-garde de ce changement. Bien entendu, cette question est intimement liée à la notion d'« urgence », à l'heure où les citoyens de tout le continent descendent dans la rue et où les gouvernements invoquent de plus en plus le concept d'« urgence absolue ». La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, appelle à un « sentiment d'urgence » dans les politiques de l'UE, une approche qui risque précisément de court-circuiter les processus démocratiques qui protègent le pluralisme et les voix critiques.
En Italie, le 22 septembre 2025, des milliers de personnes ont manifesté dans les rues, de Milan à la Sicile, pour protester contre le génocide à Gaza. La situation a paralysé le pays : gares, écoles et ports, comme Gênes et Livourne, ont été fermés. À Gênes, les dockers ont bloqué le trafic de marchandises, dénonçant l’utilisation de l’Italie comme plaque tournante du transport d’armes vers Israël. À Rome, plus de 20 000 personnes ont scandé « Palestine libre » devant la gare Termini. La tension est montée d’un cran lors des manifestations : des groupes vêtus de noir ont tenté de forcer l’entrée principale de la gare de Milan, des fumigènes et des pierres ont été lancés, et la police a riposté avec du gaz poivre. Dix personnes ont été arrêtées et soixante policiers ont été blessés. La Première ministre Giorgia Meloni a condamné ces incidents, les attribuant à des « minorités violentes sans aucun lien avec la solidarité ».
Début octobre, suite aux affrontements, les autorités locales de Bologne ont interdit une manifestation pro-palestinienne au motif d'un « risque sérieux de troubles ». L'organisation Giovani Palestinesi a annoncé son intention de maintenir le rassemblement malgré l'interdiction. L'ambassadeur d'Israël en Italie a déclaré que « l'événement glorifierait le 7 octobre » et qu'il avait « coopéré avec les autorités » pour l'annuler. En mai 2025, le gouvernement italien a présenté au Parlement un projet de loi criminalisant même les formes traditionnelles de désobéissance civile. Le décret-loi 48/2025 criminalise « l'occupation illégale de biens », passible de sept ans de prison, et l'entrave à la circulation, passible de deux ans de prison. Ce texte législatif renforce également les pouvoirs de la police et accorde un soutien financier aux policiers qui outrepassent leurs fonctions. En réaction, Amnesty International a qualifié cette législation de « draconienne, créant un climat hostile et visant à étouffer la dissidence », exposant ainsi de manière disproportionnée les militants écologistes, les personnes vivant dans la pauvreté et les communautés raciales à ses conséquences.
Le gouvernement Meloni s'efforce d'ériger la notion de « sécurité » en principe politique fondamental. Le décret-loi 48/2025 en constitue le cœur, traitant désormais les manifestations pacifiques, la résistance passive et les blocages routiers et ferroviaires comme des infractions pénales potentielles. Ce changement marque un glissement de l'espace public, passant d'un lieu de consultation à un espace de contrôle où la protestation est considérée – de par la loi – comme un trouble à l'ordre public. Parallèlement, l'octroi d'une protection financière et juridique aux forces de l'ordre (par exemple, le droit à 10 000 € de frais de défense) illustre l'objectif de cette législation : le gouvernement place la police sous une protection excessive et en fait un groupe privilégié, exempté de toute considération légale. Dans le contexte de l'« urgence européenne », le gouvernement italien, utilisant un vocabulaire commun comme stratégie politique, notamment en temps de crise (politique, économique et internationale), permet à Meloni d'accélérer le processus décisionnel et de court-circuiter la consultation.
L'Italie, cependant, ne fait pas exception, mais illustre plutôt la tendance. Le rapport annuel sur l'état de droit de cette année a constaté une augmentation des restrictions aux manifestations dans tous les États – allant des interdictions préventives aux violences disproportionnées et aux réformes législatives punitives. En Allemagne, une interdiction générale temporaire des manifestations pro-palestiniennes a été imposée à Berlin ; en Estonie, la police a interdit une manifestation qui a ensuite été jugée illégale ; en Belgique, des amendes et des sanctions administratives ont été infligées pour la simple possession d'un drapeau palestinien, tandis qu'en Hongrie, désormais reconnue comme l'expérience européenne des pratiques autoritaires, 15 tentatives d'organisation de manifestations ont été successivement interdites au nom de la « sécurité publique ». Bien que l'Italie ne soit pas la seule à appliquer ces pratiques, elle n'est heureusement pas le seul pays à réagir à ces restrictions. Le conflit social en Europe crée un paradoxe : alors que les gouvernements restreignent de plus en plus le droit de manifester, la mobilisation sociale non seulement se poursuit, mais s'amplifie. L'Europe traverse une période de « régression démocratique, mais aussi de forte résistance » . et la solidarité avec Gaza a donné lieu à une «vaste vague» d’activisme, souvent confrontée à une «forte répression».
Les manifestations n'ont peut-être pas empêché le génocide, par exemple, et il n'incombe pas aux manifestants – mais aux gouvernements – d'exercer un contrôle et de faire respecter le droit international, plutôt que de restreindre les revendications et leurs modalités d'expression. Ces actions ont changé quelque chose de plus profond : la manière dont les citoyens ordinaires s'engagent en politique, sous le coup de l'émotion, et se réapproprient la responsabilité démocratique. La voix de la rue continue de se faire entendre, ce qui rend la démocratie et ses mécanismes pertinents et actifs, malgré les réactions à sa dégradation, cette dernière étant davantage le fait de ceux qui souhaitent la corrompre que de ceux qui la défendent.
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