Au-delà de l'étiquette

Ces dernières années, on a beaucoup parlé de considérer notre époque comme une ère de crise permanente , et tout autant des mobilisations de masse au niveau international, des mobilisations à fort impact présentées comme jeunes, conditionnées comme des « manifestations de la génération Z », souvent sur un ton optimiste pouvant susciter un discours utopique et parfois liées à l'ère de la crise permanente, non pas une crise (κρίσις) au sens classique de jugement, mais plutôt un bouleversement.

L’expression « manifestations de la génération Z » sert davantage à comprendre une génération qu’à décrire les mouvements eux-mêmes, les associant, bien sûr, à la naissance du numérique, à la reconnaissance d’une organisation horizontale et à une colère teintée de moralisme. Bien que séduisante, cette généralisation risque de présenter ces mouvements comme des manifestations « antisystémiques et dépolitisées » plutôt que comme des manifestations diversifiées, occultant l’interdisciplinarité des participants et négligeant les causes structurelles qui déclenchent la contestation – le cas du Népal, présenté initialement par les médias internationaux comme une révolution contre l’interdiction des réseaux sociaux, en étant l’exemple le plus récent et le plus révélateur.

Avec l'avènement de la realpolitik comme filtre de perception, la rhétorique utopique est en déclin. Bien sûr, l'objet de cette rhétorique et les considérations de la realpolitik constituent un autre débat, avec des implications quant à la restriction de l'espace démocratique au profit d'une stabilitocratie irrégulière . Quant à la génération Z, elle n'est pas « l'avenir », mais déjà un facteur décisif dans le présent. C'est la génération qui exploite la rapidité et l'interconnexion des plateformes pour transcender les frontières géographiques et institutionnelles et organiser des formes d'action hybrides qui se traduisent par des manifestations dans la rue. Cependant, son identité d'âge, en tant que noyau d'une « génération éclairée », peut masquer la dure réalité d'une économie politique qui alimente la colère de cette génération : précarité économique, inégalités croissantes, État omniprésent, ainsi que des choix politiques qui conduisent à la dégradation de l'environnement et à la défaillance des institutions, définissent le cadre qui pousse ces mouvements à l'action. Il est clair que considérer ces mouvements de jeunesse sous l'étiquette de « génération Z » comme un simple passe-partout interprétatif est plutôt insuffisant.

Ces mouvements ont parfois prouvé leur efficacité, avec des victoires telles que le retrait de projets de loi, mais l'absorption par l'ancien système politique demeure une menace constante. Les propositions de réformes inclusives, démocratiques et collaboratives sont reléguées au second plan par des campagnes anticorruption à court terme et des mouvements de type sauveur qui s'attaquent aux symptômes plutôt qu'aux causes profondes.



© The Guardian — Le Népal interdit 26 réseaux sociaux, dont X, WhatsApp et YouTube (8 septembre 2025)

En Europe, les jeunes ne semblent pas se désintéresser de la politique ; au contraire, ils repensent leurs modes de participation, passant de l'entraide et de la protestation artistique aux récits numériques qui revendiquent un accès égal aux décisions et non de simples « espaces jeunesse » symboliques. Ce changement est décisif dans leur approche conceptuelle, car il ne s'agit plus de considérer la jeunesse comme un sujet d'étude, mais comme une méthode. Cette méthodologie encourage une créativité engagée et ne privilégie pas les formes de participation conventionnelles. Aujourd'hui, la Serbie est un laboratoire des limites et des possibilités, un exemple de mouvement étudiant né de revendications de transparence et qui s'est mué en une lutte citoyenne plus large, transformant le scandale en une critique plus vaste des inégalités et de la corruption.

La conclusion n’est pas d’abandonner le terme « génération Z », mais de le décoloniser. En tant que concept descriptif, il peut s’avérer utile, mais en tant que dogme interprétatif, il occulte les questions de classe, de genre, d’appartenance ethnique, de division centre-périphérie, ainsi que les structures du pouvoir (droit, police, médias, marchés). Le cas serbe nous rappelle que les étiquettes ne s’intègrent pas aisément aux processus pluralistes et concurrentiels.

Le problème de la simplification excessive

Le concept de « manifestations de la génération Z » séduit les médias et le discours politique, offrant un cadre d’interprétation apparemment simple et transparent, centré sur la jeune génération de citoyens. Or, c’est précisément cette utilisation du concept de « génération » comme filtre d’interprétation qui renforce les stéréotypes au lieu de reconnaître la multiplicité et la complexité de ces mouvements.

Cette simplification excessive engendre une perception d'uniformité, sous-entendant une expérience partagée et une même vision politique, alors qu'en réalité, les jeunes participant aux manifestations proviennent de milieux sociaux, de classes, de genres et de cultures différents, faisant de la reconnaissance de cette diversité interne une condition essentielle à la justice. En effet, l'élimination de l'hétérogénéité au nom d'une « génération » conduit à une forme de « mise au silence politique » de celles et ceux qui ne correspondent pas au stéréotype, et met également en lumière le problème de la récupération politique. Car, en fin de compte, si ces enjeux sont déconstruits et réduits à un récit pseudo-démographique, les rapports de pouvoir qui animent les mouvements sont occultés.

Cette difficulté à instrumentaliser politiquement les mouvements sociaux tient à la manière dont ils sont perçus. Lorsqu'ils restent cantonnés à l'expression « manifestations de la génération Z », ils sont définis par un récit apolitique, présentés davantage comme une expression générationnelle de « rage » que comme une démarche politique consciente. Parallèlement, on sous-estime leurs limites et on les imprègne d'exagérations utopiques, les présentant comme les précurseurs d'une société radicalement nouvelle, sans reconnaître que l'utopie n'existe pas. Ce qui existe, ce sont des problèmes auxquels les sociétés doivent faire face dans une perspective politique. Finalement, lorsque l'inévitable déception survient, le mouvement est stigmatisé comme un échec. En somme, le cadre des « manifestations de la génération Z » fonctionne comme une schématisation qui dépolitise ou traite le problème superficiellement, sans éclairer la complexité de l'action collective, mais en l'incorporant plutôt dans une catégorie accessible à la communication médiatique, mais pauvre en valeur théorique.


« L’élimination de l’hétérogénéité au nom d’une « génération » conduit à une forme de « mise au silence politique » de ceux qui ne correspondent pas au stéréotype, mais met également en lumière le problème de la capitalisation politique car, en fin de compte, si ces questions sont déplacées de leur contenu politique vers un récit pseudo-démographique, les rapports de pouvoir qui animent les mouvements sont marginalisés. »

Le terme même de « protestation » constitue déjà une classification de la réalité ; qualifier une manifestation de « jeune » la place dans un cadre de valeurs spécifique, à double tranchant : d’une part, il souligne la fraîcheur et le dynamisme de la jeunesse, mais d’autre part, il la réduit souvent à une explosion émotionnelle passagère, voire futile. Il en résulte la création d’un mythe sur la jeunesse, porteur de connotations à la fois positives et négatives, mais qui n’engendre pas de dialogue politique aux conséquences politiques sérieuses. Les jeunes sont ainsi privés de leur statut de sujets politiques, transformés en une masse sans identité stable, nécessitant interprétation et contrôle. Les détenteurs du pouvoir ont tout intérêt à présenter ces protestations comme le fruit d’une génération « rebelle », « naïve », en somme des rebelles sans cause, minimisant ainsi les revendications, les critiques de la corruption institutionnelle, les inégalités, les accusations de violences policières. Si, en fin de compte, le politique, le concept même de politique, se construit autour de la notion d’ ami-ennemi , alors, en considérant ces mouvements comme un sous-produit de la génération Z, nous les excluons de ce spectre, les réduisant à un simple « bruit de fond ».

Enfin, il convient de reconnaître que le discours sur la « génération Z » engendre une mythologie post-politique, rendant les protestations plus faciles à intégrer dans un récit sur « la génération rebelle », tout en les banalisant. La critique de cette « génération Z » n’est pas seulement littéraire ; elle est aussi politique, nous invitant à réfléchir à la manière dont les termes du discours public déterminent ce qui est perçu comme action politique et qui est considéré comme citoyen. L’étiquette générationnelle détourne l’attention des revendications politiques et sociales, transformant des mouvements complexes en un phénomène culturel facilement consommable et vite oublié. Une rébellion « générationnelle » peut devenir virale du jour au lendemain et, la semaine suivante, être déjà intégrée au cycle médiatique, cédant la place à la tendance suivante.

« Ainsi, au lieu de fonctionner de manière dialectique et de mener à un consensus ou à une synthèse créative, le pluralisme idéologique peut devenir un terrain de divergences fondamentales et de fragmentation interne. L’identité générationnelle, loin d’être un facteur d’émancipation, peut limiter l’horizon de l’imagination politique si elle n’est pas liée à des stratégies claires de changement social. »

Bien sûr, le problème ne se limite pas au rejet des étiquettes, même s'il faut rester critique à leur égard, mais réside plutôt dans la nécessité pour les mouvements de développer des formes d'organisation et une imagination politique qui transcendent les étiquettes et les récits qui leur sont imposés. Il s'agit de créer des structures pérennes, d'inventer des moyens d'exercer une pression constante sur l'État et les institutions, et de bâtir des alliances intergénérationnelles et transclasses. La post-politique est le domaine où les mots et les images se substituent à l'action ; il nous faut donc revenir à l'action comme vecteur de création du réel. Cela implique de concevoir la politique non comme un simple « moment d'élan spontané de jeunesse », mais comme un long processus de formation de nouvelles formes de collectivité et de nouvelles formes de participation.

Lorsque même les mouvements adoptent une « identité de la génération Z » comme définition, le risque existe que cette étiquette générationnelle se substitue à un contenu politique. Si des enjeux tels que la transparence, la responsabilité et le remplacement des élites corrompues sont fondamentaux, l'absence d'une vision politique plus large risque d'enfermer les mobilisations dans un récit générationnel étriqué. Ainsi, au lieu de fonctionner de manière dialectique et de mener à un consensus ou à une synthèse créative, le pluralisme idéologique peut devenir un terrain de divergences fondamentales et d'ultra-fragmentation interne. L'identité générationnelle, loin d'être un facteur d'émancipation, peut restreindre l'horizon de l'imagination politique si elle n'est pas liée à des stratégies claires de changement social. En d'autres termes, les mobilisations acquerront une profondeur historique et une portée politique lorsqu'elles seront reconnues comme faisant partie d'une lutte continue pour la redistribution du discours, du pouvoir et des ressources sociales, et lorsqu'elles se transformeront en processus de transformation permanente.

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