Et si les déchets qui jonchent aujourd'hui les trottoirs et les parcs pouvaient être intégrés à nos routes ? Les mégots de cigarettes ne finiraient plus uniquement dans les cendriers. La première route au monde construite à partir de filtres de cigarettes recyclés se trouve en Slovaquie.
Le recyclage des déchets en ressources utilisables constitue une part importante des actions environnementales menées à l'échelle mondiale. Chewing-gums, petits papiers et mégots de cigarettes figurent parmi les déchets les plus courants dans les rues, les parcs et même les jardinières publiques. Une solution consiste à les recycler et à les réutiliser. Un Slovaque a inventé un procédé permettant de transformer l'acétate de cellulose contenu dans les filtres de cigarettes en fibres à ajouter aux mélanges d'asphalte.
Les mégots de cigarettes, bien que petits, figurent parmi les polluants les plus répandus. Ils constituent même la forme de déchet plastique la plus courante au monde. Chaque année, environ 4 500 milliards de mégots finissent par joncher le sol, se retrouver dans la nature ou dans les cours d’eau. Cela représente près de 75 % de toutes les cigarettes fumées, et un seul mégot peut polluer jusqu’à 1 000 litres d’eau.
Ces déchets se retrouvent le plus souvent sur les plages et représentent environ 20 à 40 % de tous les déchets collectés en mer. Ils constituent un problème majeur pour les animaux aquatiques, qui peuvent suffoquer ou mourir. Les petits poissons peuvent même mourir , tandis que les plus gros peuvent subir des lésions organiques ou perdre l'appétit après ingestion, ce qui entraîne leur mort. La nocivité et la toxicité de ces déchets pour le milieu aquatique ont également été confirmées par des recherches analysant l'impact des extraits de mégots de cigarettes sur les espèces aquatiques.
Les mégots de cigarettes polluent l'environnement non seulement esthétiquement, mais aussi par des substances nocives. Source : pixabay.com
Les incendies peuvent également causer des dégâts considérables. Les statistiques des pompiers montrent que 16 % des feux de forêt en France ont été déclenchés par des mégots de cigarettes. Autre exemple : le grand incendie qui a ravagé l’Espagne en 2012, avec 13 800 hectares brûlés et quatre victimes. Là encore, la cause était un mégot jeté négligemment.
Les cigarettes n'ont rien de biologique.
Bien que la partie blanche des filtres de cigarettes puisse ressembler à du coton, elle est en réalité composée de fibres plastiques (acétate de cellulose). Ces fibres mettent jusqu'à dix ans à se décomposer dans la nature, et les substances chimiques encore plus longtemps. Parmi les composés toxiques présents dans les mégots de cigarettes, on trouve le formaldéhyde, la nicotine, l'arsenic, le plomb, le cuivre, le chrome, le cadmium et divers hydrocarbures aromatiques polycycliques.
Mais si l'on remonte à l'origine, à la production de cigarettes, l'industrie du tabac détruit littéralement l'environnement. Les experts estiment que depuis les années 1970, 1,5 milliard d'hectares de forêts, principalement tropicales, ont été rasés à cause de la production de tabac. De plus, 22 milliards de tonnes d'eau sont nécessaires pour produire un seul gramme de tabac séché. Parallèlement, des chercheurs ont souligné que la production de tabac représente 0,2 % des émissions mondiales totales de carbone, et que la culture du tabac vert libère 84 millions de mégatonnes de CO2. Si l'on inclut également la transformation et le transport, cela représente un cinquième des émissions de CO2 de l'ensemble du secteur de l'aviation commerciale.
Les pays producteurs de tabac posent également problème. Il s'agit souvent de régions à faibles revenus où la terre et l'eau sont indispensables à la production alimentaire. Or, on y cultive du tabac, ce qui entraîne une déforestation croissante. Des experts ont constaté que si les terres utilisées au Zimbabwe pour la culture d'environ une tonne de tabac étaient consacrées à la culture de pommes de terre, le rendement serait multiplié par 19.
La Slovaquie, pionnière dans la lutte contre les mégots de cigarettes
Les fibres d'acétylcellulose, produites par une entreprise slovaque à partir de mégots de cigarettes puis incorporées aux enrobés bitumineux, permettent d'en améliorer les propriétés. Ces fibres contribuent à une meilleure imperméabilité, prolongeant ainsi la durée de vie de la chaussée, tout en renforçant sa résistance et sa stabilité et en réduisant les risques d'orniérage. L'entreprise propose également aux municipalités l'installation et la collecte de cendriers, ainsi que leur recyclage et leur transformation en matériaux.
Un voyage unique à travers les mégots de cigarettes recyclés. Source : ziar.sk
La ville de Žiar nad Hronom, en Slovaquie, est la première au monde à se targuer d'une route dont l'asphalte est enrichi de fibres d'acétate de cellulose issues du recyclage de filtres de cigarettes. Créée en 2022, cette technologie innovante n'est pas encore mise en œuvre par les autorités locales. Selon Jozef Božik, président de l'Association des villes et communes de Slovaquie (ZMOS), ce retard s'explique par l'augmentation, non encore quantifiée, des ressources financières et humaines des collectivités locales.
Toutefois, l'an dernier, ZMOS a signé un protocole d'accord avec SPAK-EKO , société représentant les fabricants de produits du tabac à filtre. Son principal objectif est de créer un système efficace et durable de responsabilité élargie pour ces fabricants et de réduire la pollution par les mégots de cigarettes.
De même, la capitale et la société municipale de gestion des déchets (OLO) collectent les mégots de cigarettes lors de divers événements et festivals depuis l'année dernière. Des collecteurs pour filtres de cigarettes ont été ajoutés aux poubelles classiques. « Nous avons lancé un projet pilote de collecte de mégots de cigarettes en décembre, sur les marchés de Noël. Si les visiteurs d'un festival, d'une course, d'un marché ou de tout autre événement municipal jettent un mégot dans un conteneur prévu à cet effet, ils contribuent non seulement à un environnement plus propre, mais aussi à la valorisation de ce type de déchet », a déclaré Martina Čechová, responsable de l'économie circulaire chez OLO.
La Slovaquie se place ainsi à l'avant-garde de l'innovation écologique grâce à son approche de la collecte et de la transformation des déchets toxiques, dont les mégots de cigarettes font incontestablement partie. Cette mesure permet non seulement de réduire l'impact environnemental, mais aussi de créer de nouvelles opportunités économiques. Reste à savoir combien de villes s'engageront dans de tels projets et, outre la collecte des mégots, si elles les valoriseront et les utiliseront davantage.
Elle est combattue sur plusieurs fronts.
Les efforts déployés par les collectivités locales et les entreprises pour collecter et recycler les produits du tabac ne sont pas isolés. Certaines villes tentent de mettre en place des points de collecte, par exemple en s'inspirant des systèmes de vote pour une équipe sportive ou un chanteur. Les experts évoquent la possibilité d'instaurer des systèmes de responsabilité élargie des producteurs, qui transfèrent la responsabilité de la dépollution au producteur et non au consommateur. Une taxe environnementale sur les produits du tabac pourrait également constituer une solution. Toutefois, la meilleure solution reste la réduction des déchets par la diminution de la consommation de cigarettes.
Des cendriers originaux incitent à ramasser les mégots de cigarettes. Source : Université de Liverpool
Depuis 2018, l'Union européenne s'efforce de lutter contre les dix principaux types de déchets présents sur les plages européennes, notamment les mégots de cigarettes. La directive vise à éliminer progressivement les plastiques à usage unique non essentiels. Cependant, les experts soulignent la nécessité de renforcer la réglementation du tabac par le biais d'une responsabilité élargie des producteurs et de l'intégration des directives de la Convention-cadre de l'OMS pour la lutte antitabac .
La protection de l'environnement exige non seulement des innovations technologiques ou des changements législatifs, mais aussi une évolution des mentalités. Le recyclage des mégots de cigarettes n'est qu'un exemple parmi d'autres qui démontre que même de petites quantités de déchets peuvent avoir un impact considérable, négatif si on les laisse dans la nature, positif si on les valorise. Réfléchir à ce que l'on fait d'un mégot après avoir fumé est un premier pas vers une ville, un pays et une planète plus propres.
