À l'approche de la Journée européenne des personnes handicapées 2025, nous avons rencontré Diana pour parler de son parcours, de la réflexion personnelle sur son identité à un engagement militant puissant. Elle met en lumière le fossé entre les avancées politiques, comme la Carte européenne d'invalidité, et les difficultés quotidiennes rencontrées par les personnes handicapées face à des systèmes complexes et inégaux. En militant pour un accompagnement égal et standardisé dans les universités et en remettant en question le discours habituel de la « victime », Diana contribue à faire en sorte que l'accessibilité ne soit pas perçue comme une faveur, mais comme un droit fondamental pour tous.

Pour ceux qui ne vous connaissent peut-être que numériquement, comme une personne « hors norme », qui est Diana Reis au-delà de son pseudonyme sur les réseaux sociaux ?

Je suis une jeune personne originaire d'un petit village de seulement 200 habitants. En grandissant, je voyais rarement des personnes comme moi, sauf à l'hôpital ou en kinésithérapie. Cela m'a amenée à me demander pourquoi les personnes handicapées ne sont visibles que dans ces lieux. Étant moi-même en situation de handicap, et souvent la seule personne handicapée aux alentours, j'ai voulu approfondir cette question. Au départ, je me suis intéressée à d'autres problématiques sociales comme l'égalité des genres et le féminisme, avant de m'intéresser au handicap. Mon premier blog, qui relate mes débuts en tant que personne différente, a été ma façon de mieux me comprendre et de comprendre le monde.

En tant que défenseur des droits des personnes handicapées, qu'est-ce qui alimente votre besoin de comprendre le monde qui vous entoure ?

Je suis atteinte de paralysie cérébrale, une affection congénitale qui me donne le sentiment d'être différente des autres. J'ai longtemps eu l'impression de ne pas trouver ma place. Par exemple, je n'utilise pas régulièrement d'aides techniques comme un fauteuil roulant, car je n'en ai utilisé un qu'après une opération ; mais même alors, on ne me considérait souvent ni comme « assez handicapée », ni comme « valide ». Physiquement, je suis différente, mais socialement, j'ai aussi remarqué que les gens me traitaient différemment, et j'ai voulu comprendre pourquoi. Cela m'a amenée à un cheminement personnel, puis à la prise de conscience que le handicap et le validisme sont des problèmes structurels, bien au-delà de ma propre expérience.

Votre militantisme vise à instaurer une nouvelle norme en matière de droits des personnes handicapées. À quoi pourrait-elle ressembler ?

La prise de conscience des préjugés envers les personnes handicapées progresse, à l'instar de l'évolution du féminisme. Si l'ouverture à l'apprentissage est aujourd'hui plus grande, le risque de repli sur soi et de déconnexion avec le reste de la société demeure. Le handicap a toujours fait partie intégrante de la vie, pourtant la société cantonne ces personnes à des espaces restreints, leur laissant peu de latitude pour remettre en question cette situation. Parfois, les personnes handicapées elles-mêmes acceptent et intériorisent ce point de vue. Le changement exige un engagement politique et social fort et constant. Par exemple, de nombreux étudiants quittent l'université faute d'accessibilité suffisante des campus. Remédier à cette situation prendra du temps, mais c'est une étape cruciale pour une véritable inclusion.

« Au lieu de véritables politiques, le handicap est souvent présenté comme un spectacle. C’est parce que la lutte contre le validisme n’est pas encore un mouvement collectif et organisé, comme le sont devenus la lutte contre le racisme ou le sexisme. Il reste encore beaucoup à faire pour construire ce nouveau type de combat. »
Qu’est-ce qui vous donne un sentiment de pouvoir ou de victimisation ?

Je me sens à la fois forte et victime, selon la façon dont la société me perçoit. Souvent, je suis la seule personne handicapée aux alentours, ce qui peut créer des situations délicates. Certains y voient une force, mais pour d'autres, c'est source de solitude.

Être la « première » personne handicapée dans un lieu peut être à la fois une victoire et un lourd fardeau. Une fois, lors d'une activité de bénévolat, je n'ai pas pu participer à une marche de 3 km. Les organisateurs ont annoncé à voix haute, devant tout le monde, que quelqu'un resterait avec moi. Je me suis sentie comme une victime.

Ce qui me donne vraiment de la force, c'est de savoir que le problème ne vient pas de moi, mais du manque de soutien et de compréhension de la société. C'est pourquoi j'ai créé mon blog : pour partager mes sentiments et échanger avec d'autres personnes. Savoir que je ne suis pas seule me donne du courage. Voir davantage de personnes handicapées occuper des postes à responsabilité, comme au Parlement, serait encore plus encourageant.

Tu sembles sereine et sûre de toi malgré ces difficultés.

Je ne suis pas un super-héros, ce qui signifie que je n'aime ni la douleur ni la lenteur. J'aimerais pouvoir me déplacer plus vite, traverser le campus en 5 minutes par exemple, mais il m'en faut 15. Ce n'est pas grave. J'ai appris à l'accepter, et cette acceptation est une force. Le problème n'est pas ce que je peux ou ne peux pas faire, mais la réaction des autres. Et je n'ai aucune prise sur leurs réactions.

Qu’est-ce qui pourrait accélérer la lutte contre le validisme ?

Pendant longtemps, les personnes handicapées ont dû dissimuler leur réalité pour s'intégrer. Aujourd'hui, elles sont de plus en plus nombreuses à partager leur histoire en ligne et à occuper l'espace public. Cette visibilité pourrait changer la donne, mais le véritable débat commence au niveau politique. Actuellement, le handicap n'est pas une priorité.

La plupart des gens évitent encore de parler de handicap, même si nous y serons tous confrontés un jour en vieillissant. Les politiciens instrumentalisent parfois le handicap pour des séances photos, posant avec des personnes handicapées afin de susciter une réaction émotionnelle. Mais bien souvent, il ne s'agit que d'une mise en scène, d'un moyen de masquer un validisme profondément ancré derrière une sympathie superficielle.

Au lieu de politiques concrètes, le handicap est souvent présenté comme un spectacle. C'est parce que la lutte contre le validisme n'est pas encore un mouvement collectif et organisé, comme le sont devenus la lutte contre le racisme ou le sexisme. Il reste beaucoup à faire pour construire ce nouveau type de combat.

Que pensez-vous de la réceptivité politique lorsque les caméras ne tournent pas ?

Le symbolisme me dérange. Même lorsque des lois sont adoptées, les personnes handicapées ne sont pas entendues. Les politiciens les utilisent à des fins d'image, et non pour favoriser une véritable inclusion dans l'élaboration des politiques. Cela ne devrait pas être le cas. La présence d'une personne handicapée en politique devrait symboliser une réelle inclusion, mais cette mentalité n'est pas encore ancrée. Une fois les campagnes électorales terminées, les questions relatives au handicap retombent souvent dans l'oubli.

Je comprends que l'accessibilité ait un coût et nécessite des ressources, ce qui explique les hésitations des responsables politiques. Ils pensent à tort que l'accessibilité ne profite qu'à une minorité de personnes handicapées, ignorant d'autres groupes comme les femmes enceintes, les personnes âgées ou celles souffrant d'incapacités temporaires. La société perçoit le handicap comme un problème individuel plutôt que comme un problème social systémique.

Selon la Commission européenne, moins de personnes handicapées obtiennent un diplôme de l'enseignement supérieur que
personnes sans handicap : 29,4 % contre 43,8 % (Eurostat, 2022)
Parlez-nous de votre projet d'enseignement supérieur inclusif au Portugal. À quelles lacunes cherchez-vous à remédier ?

Les données des Nations Unies montrent de façon constante que les élèves en situation de handicap abandonnent leurs études plus souvent que les autres. Pour lutter contre ce phénomène, nous militons pour la mise en place d'un statut national pour les étudiants en situation de handicap dans l'enseignement supérieur au Portugal, similaire au statut d'étudiant salarié.

Actuellement, chaque établissement d'enseignement supérieur fixe ses propres règles, ce qui engendre des inégalités. Au Portugal, des quotas d'admission sont en vigueur afin de garantir la présence d'au moins un étudiant en situation de handicap dans chaque université. Or, nous savons que l'accompagnement de ces étudiants est insuffisant et que la crainte de représailles les dissuade de faire valoir leurs droits.

Nous prenons également en compte les étudiants déplacés en situation de handicap qui font face à des difficultés accrues : les possibilités de transport sont limitées et les logements adaptés sont rares dans un pays connaissant une grave crise du logement. Des services comme l’interprétation en braille ou en langue des signes sont également négligés.

Comment percevez-vous le passage du statut de victime à celui d'étudiant autonome ?

Actuellement, les étudiants en situation de handicap doivent se débrouiller seuls dans un système complexe. Ils dépendent souvent de la bienveillance des enseignants et du personnel pour obtenir l'aide dont ils ont besoin. Si une loi unique et claire s'appliquait à toutes les universités, obligeant les établissements à mettre en place les aménagements nécessaires pour chaque étudiant, ces derniers bénéficieraient d'un véritable pouvoir.

Il est absurde d'admettre des étudiants en situation de handicap par le biais de quotas et de les laisser ensuite se débrouiller seuls. Sans accompagnement adapté, beaucoup abandonnent leurs études. La loi ne devrait pas les marginaliser ni les priver de leur réussite. Elle devrait les considérer comme des personnes compétentes ayant des besoins spécifiques qui méritent d'être pris en compte.

Quels progrès avez-vous réalisés en matière d'inclusion dans l'enseignement supérieur ?

Notre projet est en cours depuis environ un an. Nous avons d'abord recensé les différentes réglementations universitaires concernant l'accompagnement des étudiants en situation de handicap. Nous avons également élaboré un guide à destination des nouveaux étudiants. Ce guide explique les démarches essentielles, notamment comment candidater aux bourses. À notre grande surprise, beaucoup ignoraient l'existence des quotas réservés aux étudiants en situation de handicap.

Nous préparons actuellement un nouveau guide présentant des exemples de bonnes et de mauvaises pratiques issus d'au moins trois établissements d'enseignement supérieur. À terme, nous souhaitons étendre notre étude à l'ensemble du pays et dresser un portrait détaillé des étudiants en situation de handicap dans l'enseignement supérieur, en tenant compte de critères tels que l'âge, le sexe et l'appartenance à d'autres groupes minoritaires. Nous savons que l'inclusion ne peut être une solution unique.

Selon la Commission européenne, en 2023, une enquête Eurobaromètre a révélé que 54 % des
Les personnes handicapées se sentent discriminées.
Quel est selon vous le rôle de l'UE en matière de droits des personnes handicapées ?

Je souhaite consacrer mon mémoire de master aux droits des personnes handicapées dans l'UE. Or, beaucoup estiment que chaque État membre devrait gérer cette question de manière indépendante. Cette idée est surprenante, mais je l'entends souvent et elle se reflète d'ailleurs dans les politiques européennes.

Prenons l'exemple de la carte européenne d'invalidité. C'est une grande victoire car elle signifie que mon pays d'origine reconnaît mon handicap. Mais lorsque je voyage dans d'autres pays de l'UE, je dois refaire les mêmes démarches administratives à chaque fois. C'est épuisant.

Je milite pour une harmonisation des aides aux personnes handicapées dans toute l'UE. Actuellement, les règles varient d'un pays à l'autre, car la notion de handicap diffère selon les pays (certains le considérant comme un problème médical, d'autres comme un problème social). De nombreuses organisations souhaitent que la carte européenne d'invalidité devienne une obligation, et non plus une simple recommandation, afin que tous les pays soient tenus de l'appliquer.

Comment votre identité influencera-t-elle votre engagement et votre future carrière ?

Mon handicap explique en grande partie ma présence ici aujourd'hui. Je suis convaincue que la politique et les politiques publiques peuvent engendrer de véritables changements, et c'est pourquoi j'étudie ce domaine en master. J'ai choisi une université qui défend une vision européenne et inclusive des politiques publiques, afin de rappeler que le handicap n'est pas seulement un problème national. Il touche plus de 100 millions de personnes dans toute l'UE.

Je pense que prendre la parole en tant qu'étudiante en situation de handicap ou jeune professionnelle est une forme d'activisme puissante. C'est un aspect fondamental de mon travail. J'arrive de mieux en mieux à faire bouger les choses, mais c'est parfois épuisant. Être visible et parler constamment de problèmes personnels sur les réseaux sociaux me pèse. Le climat politique actuel est difficile, avec la montée des idées extrémistes. Malgré tout, je garde espoir. Les choses vont changer, je ne sais juste pas quand.

Qu’est-ce qui vous donne espoir concernant l’inclusion des personnes handicapées et le monde ?

Je suis optimiste car de plus en plus de personnes handicapées et de décideurs politiques s'expriment ouvertement et militent pour le changement. L'Europe offre aujourd'hui plus de droits aux personnes handicapées que jamais auparavant. Cependant, de nouveaux groupes politiques tentent de remettre en cause ces progrès. Par exemple, certaines ingérences des États-Unis montrent à quel point la situation reste fragile.

L'inclusion des personnes handicapées n'est pas encore une réalité pour tous en Europe. Mais je crois que si nous restons optimistes et que nous poursuivons nos efforts, nous pourrons continuer à progresser.

Sources sur le handicap, l'inclusion et les droits dans l'UE :

Eurostat (2022) Handicap : risque accru de pauvreté ou d’exclusion sociale.

Commission européenne (2025) Le handicap dans l'UE : faits et chiffres.

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